Pourquoi je me lève tous les matins ?





En2012, quand j’ai créé le lab.davanac, je n’imaginais pas un seul instant qu’un jour cette structure me servirait à autre chose qu’à m’offrir un salaire décent et à payer mes factures.


En Belgique, la précarité du statut d’indépendant force à la créativité et bénéficier d’un véhicule financier pour mes activités était déjà une belle réussite, moi qui avais démissionné (par choix, pas par dépit) de tous les CDI que j’avais eu la chance de décrocher, d’abord à l’Agence Belga, à la RTBF et ensuite chez Owni.


Aujourd’hui, à salaire inchangé depuis 2008, j’ai construit une boite qui dégage des bénéfices et paie donc des impôts, mais qui me permet surtout de vivre de ma passion pour l’expérimentation et l’accompagnement de projets qui ont un impact positif autour de moi. C’est une grande chance, dont je mesure chaque jour l’ampleur lorsque je me permet de dire “non” à des projets qui, tous bancables qu’ils soient, ne rentrent dans la vision de ce que je considère comme la raison d’être de ma société.


Un de mes grands bonheurs au cours des dernières années a été de faire “grimper” et d’associer une quantité non négligeable de talents aux projets que je portais ou auxquels d’autres talents m’avaient convié, plus d’une fois d’ailleurs parce que je les avais eus comme étudiants (Aurélie, Benoit, Remi,Tim …) ou parce que la sérendipité m’avait fait croiser leurs chemins et que des opportunités s’étaient présentées, parfois en one shot, souvent en récurrent.


Bosser avec des gens qui ont le même état d’esprit que moi, la même envie d’entreprendre, de prendre le risque d‘être gratifié à la hauteur de nos investissements mutuels, en toute liberté, avec chacun sa propre autonomie. Quel pied !
Un mode de vie nomade, une certaine organisation et un réseau de gens bienveillants autour de moi, à commencer par ma femme et mes ami(e)s, m’ont permis de perfectionner mon approche du mot “travail”.
Rien n’est jamais acquis d'avance, mais, à nouveau, j’ai la chance d’avoir des partenaires qui inscrivent leurs projets dans des visions particulièrement compatibles avec la mienne. Et je leur en suis particulièrement et chaleureusement reconnaissant.
Toutefois, depuis quelques mois, le nombre de projets auxquels je suis contraint de dire “non” augmente, et de manière très frustrante, pour des raisons que je ne maîtrise pas. Comme tout le monde, je n’ai que 24h dans une journée, et comme tout le monde, il y a des compétences que je n’ai pas.

Que faire alors ? Je le redis, mon ambition n’a jamais été de créer “une grosse boite”, mais une structure à la mesure de mes intentions. Gagner beaucoup d’argent n’en fait pas partie, mais il en faut pour vivre, assurer ma capacité à monter des projets excitants tout en continuant à pouvoir dire “non”. Comment rester “raccord” entre mon discours, notamment celui que je tiens à mes étudiants, à mes enfants, à mes amis, et mes actes ?


Engager ? Le salariat constitue sans doute la forme de contrat de travail qui, à mes yeux, est la plus obsolète qui existe, d’autant plus en Belgique où son coût est absolument aberrant. Et puis le monde dans lequel nous vivons et encore plus celui qui s’annonce, rend la notion-même de “sécurité”, et notamment d’emploi, quasi caduque et presque fallacieuse d’un point de vue intellectuel.


La “réduction de l’insécurité” comme levier d’action politique est castratrice, liberticide et mène à porter des choix non plus guidés par l’autonomie et la confiance “par défaut”, mais par le contrôle et l’aversion du risque. Or, à mes yeux, cette mise en danger de soi, de ses certitudes et de sa zone de confort intellectuelle est le principal moteur de l’innovation et de la création de richesses, humaines et matérielles. Est-elle pour autant incompatible avec la notion de salariat ? J’y reviendrai plus bas.










J’ai donc commencé par publier une offre de stage, à travers laquelle je proposais de me mettre au service d’un projet porté par un(e) stagiaire, et non l’inverse. Une manière aussi d’agir en concordance avec des valeurs, celle du “pay-it-forward”. Cette inversion de la proposition de valeur était pour moi cardinale, tant la nature-même des stages proposés aujourd’hui dans les entreprises vont à l’encontre du développement personnel des individus.


Supprimez les stagiaires dans les entreprises, et de presse en particulier, et grosso modo, plus aucune n’est capable d’assurer son workflow quotidien. En prenant ce contre pied, je voulais allumer une étincelle et voir comment en lui partageant mon oxygène j’allais permettre de la nourrir pour qu’elle grandisse, détachée de la préoccupation de devoir être rentable pour mon entreprise. J’ai été agréablement surpris de voir cette offre d’un autre genre avoir un écho particulier, notamment auprès de gens que j’estime et qui eux aussi travaillent en mode “libéré” (tx Duc et les gars d’Officience pour l’adaptation en anglais)


Offre-toi un stage au lab.davanac
Offre-toi un (vrai) stage ! Découvre de nouvelles pratiques professionnelles,dans un environnement innovant, créatif et…davanac.typeform.com


J’ai reçu une trentaine de candidatures, toutes via les réseaux sociaux. La grande majorité de ces propositions n’étaient hélàs pas au diapason de mon intention. Formatées comme des offres de main d’oeuvre facile et non pas comme des demandes d’aide ou de conseils pour mener à bien des projets personnels complexes et ambitieux. Sans doute n’avais-je pas réussi à trouver les bons mots pour expliquer le “pourquoi” de ma démarche ni le “comment” elle allait s’opérationnaliser.


Une candidature toutefois, celle de Nadine, a retenu mon attention. Elle me tutoyait alors que nous ne nous connaissions pas, elle habitait en France, ce qui ouvrait la porte à une collaboration agile et à distance, et surtout elle a utilisé le bon .gif pour me convaincre: “J’attends de toi que tu m’aides à structurer ma démarche et à trouver les outils nécessaires pour mener à bien mon projet et compléter ma formation.” J’ai dis Banco.


A refaire, il y a sans doute plein de petites choses que nous aurions faites différemment, mais dans l’ensemble j’ai vraiment été ravis de pouvoir accompagner Nadine dans son cheminement, qui l’amène aujourd’hui à travailler avec des ONG internationales, et à lancer une startup dans les échanges Nord-Sud.


Je n’ai perdu ni temps ni argent, et cette expérience, ajoutée à tant d’autres avec mes étudiants, m’a convaincue obstinément de continuer à creuser dans cette direction: “Comment continuer à employer les gens qui gravitent dans mon écosystème ?”, partant du principe que tout ce qui est bon pour eux serait bon pour moi, et que si je participe à ce qu’ils deviennent successful, le retour sur investissement viendrait tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre (et pas que financièrement, vous l’avez je l’espère compris).



Aujourd’hui, j’ai donc signé mon premier contrat en tant qu’employeur. Parce que j’ai croisé la route d’un bonhomme meilleur que moi, a qui j’ai envie d'accorder toute ma confiance, l’autonomie et la sécurité nécessaire pour qu’il continue à l’être. Cela fait 4 ans que Skan, journaliste, comédien, musicien, arabophone polyglote, amoureux de la Grèce antique, des jolis mots et des belles épopées se forme au Motion Design et à l’animation graphique.









Depuis un bout de temps j’observais son boulot (sur Le Soir ou plus récemment sur une dataviz réalisée pour L’Obs) et après l’avoir entendu pitcher au Pecha Kucha de Mons, lors de la Semaine de la Créativité, je me suis dit que je pouvais peut-être l’aider à aller encore plus loin, que nous pouvions ensemble raconter de nouvelles histoires, leur donner du sens et rendre intelligible dans le langage d’aujourd’hui l’actualité du monde qui nous entoure.


C’est un pari, un peu comme au poker, je paie pour voir ce qu’il a dans son jeu. Mais la comparaison s’arrête là. Parce qu’à partir de maintenant, nos cartes vont s’additionner, constituer un “unfair advantage” que, seuls, nous aurions été incapables d’acquérir. A deux, nous avons commencé à dire “oui” à des projets auxquels j’étais contraint de dire “non”, et c’est très très excitant.


A deux, nous allons quand même aussi devoir continuer à dire “non”, pour rester indépendants et autonomes. A deux, et peut-être demain à trois, quatre ou plus, nous allons continuer à expérimenter, à tester, à transmettre et à challenger les status quo.


Nous allons tenter de combiner nos talents et de les mettre au service d’individus, d’entreprises, d’organisations et d’institutions qui placent leurs usagers au centre de leurs préoccupations.
Skan est donc le premier salarié du lab.davanac, avec un contrat en CDI. Celui-là-même que je trouvais obsolète et caduque, quelques lignes plus haut. J’ai fais ce choix parce que pour hacker les règles, il faut d’abord les comprendre.


Alors je vais apprendre ce que c’est d’être “patron”, même si je hais ce mot pour la verticalité qu’il induit dans les relations entre individus, même si mon intention n’est pas de diriger, mais de tenter de leader le pack, même si je dois lui donner un badge d’une porte qui n’existe pas.


Beaucoup de gens ont eu la gentillesse de me partager leurs connaissances et dernièrement, une conversation avec Eric Lardinois, qui dirige l’Ecole de la Créativité, nous avons abordé les quetions des “nouveaux modes d’organisation”, tels que présentés par Frédéric Laloux dans son bouquin.


Je suis convaincu des vertus de l’autonomie et de la responsabilité, de la transparence et de la confiance, et pas qu’au boulot. Mais quand il s’agit de partager ses “secret sauces”, les cartes visa ou le bilan comptable de son bébé, c’est une autre paire de manche. Un vieux reste de « pour vivre heureux, vivons cachés » judéo-chrétien.











Alors je vais apprendre, from scratch ou presque, et je m’en réjouis. Plus loin je pousserai cette démarche, plus nous serons consistants et cohérents dans le développement de nos projets, et plus nous donnerons peut-être envie à d’autres talents de nous rejoindre et de travailler avec nous.
Again, c’est un pari, sans aucune certitude quant à ce que nous trouvons au bout du process. Pas sûr d’ailleurs que le bout du chemin soit la partie la plus excitante du game…
J’ouvre aujourd’hui une nouvelle page de ma vie. Je flippe de ne pas être à la hauteur, de ne pas être capable de tenir mes promesses et de me crasher en plein vol. Mais c’est aussi ce qui me pousse à aller de l’avant, les yeux rivés sur le même horizon, en me disant que quoi qu’il advienne j’aurai appris, vécu et tenté d’incarner ce pourquoi je me lève tous les matins.

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