L'heure est-elle encore à la révolution verte?

Image associéeAlors que la révolution verte semble bel et bien être un modèle dépassé, certains Etats africains lancent de vastes programmes de subventions aux intrants chimiques, soutenus par des institutions et des bailleurs de fonds qui affirment depuis des décennies que ce « modèle » de développement agricole serait la seule solution face à la faim… Décryptage d’une contre-vérité.
Un modèle soutenu par des organisations puissantes
L’Afrique est le continent où l’on utilise le moins d’engrais chimiques : en 2010, 17 kilos d’engrais par hectare y étaient utilisés, contre 118 en moyenne dans le monde. La majorité des agriculteurs africains n’ont pas accès aux intrants chimiques du fait de leur prix et doivent travailler des sols très pauvres avec des engrais organiques peu efficaces puisque les animaux qui les produisent ont une alimentation faible en nutriments.
Face à cela, les partisans de la révolution verte martèlent le même message depuis des décennies : pour vaincre la faim, l’Afrique doit mettre à profit les outils de la révolution verte. Ce discours est celui de nombreux bailleurs de fonds : l’International Fertilizer Development Center, la fondation de Syngenta, la fondation de Monsanto, l’AGRA (financée par la Fondation Rockefeller et la Fondation Gates) etc. Le G8, à l’origine de la création de la « Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition » en Afrique,  mais aussi  le service information de l’ONU, à travers le magazine Afrique renouveau sont également de fervents défenseurs des vertus de l’agrochimie. Enfin, l’Africa Progress Panel, think tank présidé par Kofi Annan, dépense des millions en études scientifiques et en communication en faveur de la révolution verte.
Le NEPAD (New Partnership For Africa’s Development), cadre stratégique de l'Union Africaine pour le développement socio-économique du continent, a longtemps tenu le même discours. En 2006, les Etats africains signaient dans ce cadre la déclaration d’Abuja, s’engageant à atteindre le taux de 50 kilos d’engrais par hectare en 2015.
Des solutions court-termistes
Subventionner massivement les engrais permet à court terme d’augmenter la fertilité des sols. Au Malawi, un large programme lancé pour permettre aux petits agriculteurs d’accéder aux intrants chimiques a eu de bons résultats en termes de rendements. Entre 2006 et 2009, le nombre de malnutris est passé de 4,5 millions à 150 000. Mais il aura suffi de deux années plus sèches pour que les prix du maïs flambent et qu’environ 2 millions de personnes supplémentaires se retrouvent en situation d’insécurité alimentaire.
Contre la sécheresse, les engrais chimiques sont inutiles. Au contraire, ils  favorisent l’érosion des sols, et chassent les éléments naturellement fertilisants qu’ils contiennent. Roland Bunch, agronome, explique ainsi que «les effets indirects des engrais subventionnés sont que les agriculteurs arrêtent la mise en valeur organique de leurs sols, parce que la fertilisation est plus facile. Lorsque les subventions cessent  ils se retrouvent avec un sol si inerte qu’il devient impossible d’y cultiver un bon engrais vert pour restaurer la fertilité.»
L’agroécologie permet en effet de restaurer et d’entretenir la fertilité des sols même dans des zones très arides. Le NEPAD, autrefois en faveur des engrais chimiques, prône d’ailleurs aujourd’hui « la préférence systématique pour des systèmes agricoles durables du point de vue socio-économique (utilisation de la main d’œuvre) comme environnemental (usage limité d’intrants d’origine fossile, promotion de l’agroécologie et de l’agroforesterie)».
Cet avis est aussi celui de nombre d’organisations paysannes. Ainsi, pour Mamadou Cissokho, du ROPPA : « Il faut que les politiques comprennent que les réalités écologiques de nos ressources naturelles et l’augmentation de la population nous imposent une lucidité et que l’on peut améliorer nos productions en améliorant les outils que nous utilisons actuellement.»
L’adoption des intrants chimiques crée une dépendance
Comme le souligne SOS Faim, « les systèmes d’appuis institutionnels massifs du Mexique et de l’Inde […] ont créé un marché pour l’entrée du secteur privé dans les activités de production des semences, des engrais, de l’équipement et de commerce».Or si cela crée de l’activité,  c’est souvent au bénéfice des multinationales et au détriment des plus pauvres. En Inde et au Mexique, ces stratégies ont mené à une réduction drastique du nombre de paysans, des problèmes d’endettement qui ont poussé les paysans à rejoindre les bidonvilles, sans parler de la vague de suicides en Inde.
Pour les Etats qui subventionnent l’adoption des engrais chimiques, la dépendance au secteur privé est également dangereuse. Comme l’explique la FAO, ces plans de subventionnement massif des intrants, qui sont au départ des réponses à l’augmentation des prix des intrants en pleine crise alimentaire, se poursuivent sans que leur cohérence avec les objectifs de développement ne soit questionnée.  Parallèlement, les Etats n'élaborent pas de stratégies visant à développer des production nationales d'intrants qui pourraient être à la fois source d'emplois et d'autonomie.
Des mesures inadéquates pour relever le défi de la faim
Dans son étude sur l’agriculture familiale au Mali, le CIRAD souligne que l’immense majorité des agriculteurs ne bénéficie pas des programmes de subventions d’intrants. Ils sont marginalisés, tandis que des entreprises agricoles de plus grande taille peuvent devenir un groupe de bénéficiaires privilégiés des aides d’Etat. En effet, pour bénéficier des aides agricoles au Mali, il faut être enregistré officiellement comme ayant l’agriculture pour seule activité. Or, 80 % des exploitants maliens sont concernés par la pluriactivité. La majorité des programmes agricoles durant les vingt dernières années n’a donc pas bénéficié aux agriculteurs familiaux, malheureusement les premières victimes de la faim.
En outre, même si l’utilisation d’intrants permet sur le court-terme d’obtenir des augmentations de rendement importantes, le lien entre hausse de la production et baisse de la faim n’a rien d’évident. Comme le rappelle SOS Faim, « la famine n’est pas liée au manque d’aliments, mais à la pauvreté : les affamés sont trop pauvres pour acheter la nourriture disponible […] tandis que les  architectes de la Révolution verte insistent constamment sur le fait que les paquets  technologiques vont permettre d’augmenter les rendements agricoles.»
Les aides à la production doivent être combinées à des investissements dans la recherche, un soutien pour la transformation, l’accès au crédit, aux marchés, et l’amélioration des infrastructures. Un rapport de la FAO conclut ainsi que  « si les dépenses gouvernementales continuent à viser l’augmentation de la production sans améliorer l’accès des exploitants agricoles aux marchés, l’efficacité à long terme de ces coûteux programmes de subventions aux intrants supportés par les budgets nationaux peut être remise en question. »
Les ambiguïtés de Maputo
En définitive, les accords de Maputo ont le mérite d’avoir poussé les Etats africains à s’engager en faveur de l’agriculture. Mais cet engagement laisse aussi aux Etats toute la latitude d’inclure dans ces 10 % des investissements qui ne contribuent en rien à lutter contre la faim, alors que c’est pourtant le but assigné. Mamadou Cissokho explique que cet accord est basé sur le postulat selon lequel « en injectant 10% des budgets publics dans l’agriculture, les Etats africains feraient un grand pas vers la croissance agricole, donc la lutte contre la faim. Mais on n’a pas suffisamment pris le temps de réfléchir aux leviers sur lesquels il fallait agir pour régler ce problème de faible croissance agricole. »
Sources : MaliwebLafaimexpliquée, CIRAD, FAOIFPRI
 Pour creuser le sujet :
Etude de SOS Faim, Révolution verte ou agro-écologie, 2014

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